Constat
De plus en plus souvent, nous pouvons observer que beaucoup s’essayent aux commentaires et « review » de produits de bouche tels que vins, alcools et bien entendu… les cigares.
Il est certes devenu « à la mode » de « partager » ses opinions. Je pense cependant que ces dernières devraient être « mûries ». Il faut bien se rendre compte que dans le cigare, à ma connaissance, il n’y a pas de « vocabulaire entendu » pour se comprendre sur la dégustation. Ainsi, nous voyons apparaître des tas de mots extravagants. Je ne peux résister à vous citer quelques commentaires de dégustation repris de magazines spécialisés :
« A cru, un tirage aisé avec beaucoup de groseilles et de raisin secs ainsi qu’un léger ammoniac et, selon les messieurs du panel de dégustation, l’odeur d’une étable de lamas. »
« Le poivre s’affaiblit légèrement, complété par de légères saveurs de cuir qui rejoignent plus tard le potentiel de ce cigare. Plus loin, une épaisse couche de cuir de buffle se dépose sur notre langue. »
Je ne sais pas si vous avez connu l’expérience de l’odeur d’une étable de lamas ou encore si vous avez mis dans votre bouche une épaisse couche de cuir de buffle !?! Dans mon cas, ma modestie m’oblige à vous avouer que, non seulement, je n’ai pas connu ces expériences sensorielles, mais que je ne comprends pas la moindre chose de ce qu’ils ont essayé de dire !
Ces figures de style provoquent souvent une frustration de la part du néophyte, une tolérance de l’industrie en soif d’image et de communication, et peut-être la satisfaction personnelle de ceux qui les écrivent. Bref, j’ai l’impression que cela ne sert finalement qu’à brouiller les pistes parfois si compliquées.
Pour rappel, le gout à proprement parler est une introspection, un voyage vers soi-même. Il fait appel à la mémoire afin de mûrir un jugement par rapport aux expériences passées.
Revenons à la base de la dégustation
– Le regard :
C’est peut-être poétique mais je ne peux éluder cette étape. Ce petit moment où l’on désire le produit. Ce moment où l’on se prend à rêver du voyage qui nous attend. Le regard permet d’apprécier le fini d’un cigare ou la robe d’un vin. N’oublions pas qu’en fonction des terroirs, nous pouvons avoir des attentes spécifiques en matière de couleur : Une cape broadleaf d’un noir parfaitement homogène, un bourgogne d’un rubis si profond que déjà, il vous dévoile sa finesse…
– L’olfaction ou l’odorat :
L’olfaction est souvent sous-estimée mais sachez qu’elle représente plus de la moitié du goût ! Elle fait partie intégrante de toute dégustation de cigare. Ainsi, si l’on s’exerce à faire passer la fumée de la bouche au nez, ce n’est pas par hasard. Cette opération n’est pas toujours agréable. Néanmoins, elle constitue la meilleure manière de jauger la qualité des tabacs utilisés. En effet, elle permet, en fonction de l’expression piquante de la fumée, de déceler l’ammoniaque restante dans le tabac et ainsi de mesurer son état de maturité. L’ammoniaque étant le résidu de sa fermentation. Pour les vins et les alcools, cette opération s’appelle « grumer ». Elle consiste à faire rentrer l’air par la bouche et ensuite de le faire passer par le nez en rétro-olfaction. Cela permet de développer les arômes des produits.
– La dégustation :
Elle se compose en trois parties :
La première est ce qu’on appelle « l’attaque ». C’est tout simplement la première sensation qui apparait, la première seconde. Elle est importante mais pas primordiale. Beaucoup d’opinions sont malheureusement basées sur cette seule sensation ! J’ai envie de dire à ceux qui se contentent de cette seule seconde qu’ils ratent l’essentiel. Un beau produit mérite bien plus que ce court laps de temps. Certains produits sont volontairement développés pour cette seule seconde afin d’impressionner le dégustateur, mais vous ne tomberez pas dans ce piège.
La seconde partie, je la baptiserais volontiers de « cœur ». C’est là que vous serez aptes à mesurer la réelle ampleur de ce que vous dégustez, d’apprécier l’équilibre des saveurs, ce qui est à mon avis absolument capital ! En effet, le gout se joue toujours entre les sensations sucrées, acides et amères. L’équilibre sera votre quête, c’est toujours lui qui forcera votre admiration.
En effet, fabriquer un produit qui est fortement marqué par l’une ou l’autre sensation n’aura finalement jamais rien d’exceptionnel. Un autre qui sera équilibré vous fera profiter de toute la complexité des tabacs qui le composent. Il jouera tantôt sur une saveur, tantôt sur une autre, vous faisant ainsi voyager.
La troisième partie de la dégustation est « la fin de bouche ». C’est le moment qui suit, lorsque la fumée a quitté votre bouche ou quand vous avez avalé votre breuvage. Elle est également très importante car elle permet de mûrir un jugement final d’équilibre et de cohérence avec les deux premières. Bien plus encore, la longueur de cette « fin de bouche » permet d’apprécier la qualité des tabacs qui vous ont été proposés. Dans un vin également. Il s’agit en quelque sorte d’un « contrôle qualité ».
– La Conclusion :
Elle est la dernière partie, la plus passionnante et intellectuelle. Il s’agit de compulser toutes les sensations que vous avez eues avec celles des expériences passées afin de mûrir un jugement digne de ce nom. Ainsi, plus vous avez eu d’expériences, plus vous aurez de compétence.
En ce qui me concerne, j’attache bien plus d’importance au terroir et à la connaissance des personnes qui façonnent les cigares que de jouer à un exercice de « sommelier » qui laisse la place à toutes les extravagances.
Bien fumer
La manière de fumer joue également un rôle primordial. J’observe de plus en plus souvent les fumeurs engloutir leur cigare, les solliciter vivement afin d’obtenir de (très) grosses et amples bouffées,… Bien que le gout soit une école de liberté et que tout un chacun soit libre de faire comme il veut ; j’ai le devoir de vous rappeler que bien fumer est et reste un concours de lenteur. Plus le cigare brûle froid, plus il sera aromatique. De plus, lorsque l’on « chauffe » un cigare ainsi, on perd une partie des arômes et le troisième tiers aura tendance à « charger ». Je vous invite donc à la patience, laissez à votre cigare le temps de se livrer. C’est ainsi qu’il vous garantira un moment réussi.
Conclusion
Vous voici à présent armés afin de vous parfaire dans votre noble démarche. La dégustation est bien un art qui demande toute votre attention. Vous serez récompensé car cette discipline vous permettra d’aller plus loin dans la compréhension des cigares et des tabacs qui les composent. Je ne suis personnellement pas convaincu qu’un vocabulaire si « imaginatif » soit nécessaire. L’important se situe dans la qualité, l’équilibre et la cohérence.
Bonne dégustation !